21 RUE LA BOETIE : DE PARIS A NEW YORK ,PARCOURS DE PAUL ROSENBERG,UN VISIONNAIRE MARCHAND D’ART
Â
 Portrait de Paul Rosenberg, avant 1914, dans sa galerie sise 21 rue la Boetie
Â
Â
Une échappée culturelle d’une exceptionnelle envergure attend tous ceux qui, dès demain matin et jusqu’au 23 juillet 2017, feront escale au célèbre musée, parisien, Maillol .
Â
 21 Rue la Boétie, l’extraordinaire exposition qui y ouvrira ses portes, constitue, en effet, un atypique voyage, mêlant avec brio  Art et Histoire, à la découverte de l’un des plus influents et visionnaires marchand d’art français de l’entre-deux-guerre : Paul Rosenberg.
Â
Ainsi, du Vieux Continent, où son avant gardiste galerie, installée dans l’effervescente capitale française, se mua en un haut lieu de l’Art Moderne, au Nouveau Monde qui, pour fuir les persécutions du III eme Reich, devint, en septembre 1940, sa terre d’accueil, l’itinéraire de cette rétrospective suit donc le parcours d’un féru d’Art , à bien des égards, en avance sur son temps.
Â
Un homme, témoin, de surcroît, d’un basculement clé dans l’Histoire de l’Art du XX ème siecle : celui où New York ravit à Paris le statut de capitale mondiale de l’Art qui lui avait jusque là été conféré.
Â
Si l’immersion dans l’univers de ce collectionneur averti se révèle immédiatement fascinante, la singularité de l’exposition tient également aux inédits contours de sa conception.
Â
Elle fait, en effet, écho (et pas uniquement s’agissant de son titre) à 21 rue la Boétie, l’ouvrage-hommage éponyme publié, en 2012, par la  journaliste Anne Sinclair .
Â
Qui n’est autre que la petite fille dudit marchand d’art  et la marraine de l’exhibition.
 Â
Il en résulte, dès lors, une émouvante plongée dans l’intimité  familiale de Paul Rosenberg.
Â
Les correspondances échangées avec les artistes qu’il soutenait, outre les célèbres portraits de lui, de sa femme (Marguerite), de sa fille (Micheline) et même de sa petite fille (Anne Sinclair) que ces derniers réalisèrent, dévoilent les véritables relations de confiance et d’ amitiés qui les unissaient.
Â
Mais explorer 21 rue la Boétie c’est aussi avoir l’inespérée occasion d’admirer, pour la première fois, une soixantaine  de chefs-d’œuvres, prêtés par des collectionneurs privés ainsi que de renommés musées français ou internationaux, ayant, un jour, transité par l’antre de Paul Rosenberg.
Â
Autant de raisons qui justifiaient que je mette à profit mon escapade liégeoise, d’il y a quelques semaines,  pour me rendre au superbe Musée de la Boverie où cette exposition était, depuis l’automne 2016, déjà présentée.
Â
Bien m’en a pris car j’en suis ressortie véritablement émerveillée.
Â
A la veille de son ouverture parisienne, l’heure est donc désormais venue pour moi de vous révéler (au vu de la scénographie découverte en Belgique) pourquoi celle-ci est un Must See.
Â
Â
POUR EN APPRENDRE DAVANTAGE
SUR, L’AVANT GARDISTE MARCHAND D’ART, PAUL ROSENBERG
Â
Â
L’ immense intérêt pour l’Art, très tôt, manifesté par Paul Rosenberg a sans conteste été nourri par son environnement familial.
Â
Chez les Rosenberg, cette passion ( pour des écoles de peinture certes différentes) s’est, en effet, transmise de père en fils.
Â
Dans la droite lignée d’ Alexandre (son père) et Léonce (son grand frère), tous deux ayant été propriétaires d’une galerie parisienne, Paul s’installe, en 1910, avec sa famille au 21 rue la Boétie .
Â
La très chic adresse, située dans ce 8 eme arrondissement où nombre de marchands d’Art ont déjà  élu domicile, abritera également sa galerie.
Â
L’avant gardiste perception de l’Art qu’il y déploie ainsi que la richesse de sa collection explique le succès grandissant de son affaire.
Â
Car Paul Rosenberg est un précurseur à plus d’un titre :
Â
D’abord parce qu’il décide de diversifier le choix des Å“uvres présentées au public afin de faire émerger de nouveaux talents.
Â
Ainsi, à côté des grands Maîtres de la peinture française  ( tels Delacroix, Ingres, Courbet ou ceux de l’Ecole de Barbizon ), il accroche les tableaux d’artistes, révolutionnant les codes alors admis en la matière, dont il apprécie le travail.
Â
Ces derniers, Braque, Léger, Laurencin, Matisse, Cezanne ou Picasso pour ne citer qu’eux,  deviendront les illustres hérauts de l’Art Moderne.
Â
Â
Ensuite,  parce qu’il assure une promotion résolument moderne et efficace des toiles montrées.
Â
Cette politique se traduit, entre autre, par la multiplication du nombre d’exhibitions organisées;  l’édition de catalogues; le recours à la publicité; la création de mises en scène, savamment étudiées, dans un décor bourgeois contribuant à mettre en valeur les tableaux ainsi que la constitution d’un réseau d’acheteurs fortunés (tant en Europe qu’aux Etats-Unis) à qui il revend ses pépites.
Â
En troisième lieu parce qu’il instaure, au terme de la signature de contrats de vente, une atypique relation de travail  avec les peintres dont il devient l’agent.Â
Â
En contrepartie du paiement annuel d’une somme, dont le montant aura été préalablement convenu,  Paul Rosenberg obtient un droit de première vue :  une exclusivité lui permettant, avant tout concurrent, de choisir les plus belles toiles.
Â
A tous ces éléments novateurs s’ajoute, enfin, une gestion extrêmement rigoureuse de son important stock.
Â
Toutes les œuvres passées par la galerie y sont, en effet, répertoriées après avoir été photographiées .
Â
Mais il faut attendre l’achèvement de la seconde guerre mondiale pour prendre toute la mesure de l’ influence acquise, tout au long des décennies précédentes, par Paul Rosenberg.Â
Â
Car depuis sa galerie new- yorkaise, sise 16 East 57 th Street puis 20 East 79 th Street , ouverte seulement quelques mois après son arrivée, en septembre 1940, aux Etats-Unis, l’illustre marchand d’Art participera au rayonnement outre atlantique des peintres d’Art Moderne qu’il avait, autrefois, contribué à faire connaitre en France.
Â
Les sombres soubresauts de l’Histoire auront donc conduit à faire de New York la nouvelle plaque tournante en matière d’Art.
Â
POUR DÉCOUVRIR PLUSIEURS FACETTES DE LA POLITIQUE ARTISTIQUE NAZIE
Â
Â
Le totalitarisme nazi, déjà évoqué ici et là , s’est aussi exprimé dans le domaine culturel.
Â
La finalité de l’Art étant, selon les autorités du III eme Reich, de « façonner » les citoyens allemands en de bons aryens.
Â
Cette politique d’aryanisation s’est donc mise en place en deux étapes.
Â
Dans un premier temps, situé avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale, il s’agit, avant tout, de mener des actions de propagande, via les grandes expositions de 1937, auprès du peuple allemand.
Â
Celles-ci devant lui permettre de distinguer : l’Art Aryen (exaltant les valeurs traditionnelles germaniques parmi lesquelles figurent la famille, la virilité ou la vie rurale), devant être promu, de l’Art dit dégénéré (concept aux contours flous qui néanmoins englobe tout art qui porterait des germes de modernité) devant, à contrario, être banni des musées.
Â
Après avoir été confisquées, les œuvres appartenant à cette dernière catégorie sont soit détruites, au cours de gigantesques autodafés, soit cédées au plus offrant lors de ventes publiques.
Â
 A l’instar de celle organisée, le 30 juin 1939, dans la ville suisse de Lucerne à laquelle Paul Rosenberg refusa, par principe et contrairement à d’autres marchands d’Art ou de musées, de participer.
Â
Il convient toutefois de préciser que certaines acquisitions, notamment celles réalisées par le Musée de Liège, permirent de sauver les toiles incriminées en les mettant à  l’abri.
Â
Une fois la guerre débutée, le régime nazi s’emploie, sur l’ensemble des territoires occupés, à méthodiquement spolier les populations juives, avant de les déporter vers les camps de l’est de l’Europe, de tous leurs biens.
Â
Y compris les Å“uvres d’Art, biens culturels, dont la valeur est inestimable.
En France, le butin ainsi récolté est entreposé au séquestre du Louvre ainsi qu’au musée du Jeu de Paume où le Maréchal Goering vient, en toute impunité, se servir pour alimenter sa collection personnelle
Â
Certaines pièces sont néanmoins réservées au Führer lequel rêve, à terme, d’ouvrir un gigantesque musée dans la ville autrichienne de Linz.
Â
Parvenu, dès le dernier trimestre de l’année 1940, à s’exiler aux États Unis, Paul Rosenberg, dont la déchéance de nationalité française sera, en février 1942, prononcée par le régime de Vichy, n’échappera néanmoins pas aux razzias d’œuvres d’art dont les grands collectionneurs et marchands d’Art, de confession juive comme lui, seront les cibles.
Â
Â
Réquisitionnée et pillée, dès l’été 1940, par les autorités allemandes ,sa galerie parisienne abritera dorénavant le siège de l’Institut d’Etudes des Questions Juives connu pour son féroce antisémitisme.
J’en veux pour preuve l’exposition le Juif et la France qui y sera conçue en 1941.
Â
Quant aux Å“uvres qu’il aura, dans sa fuite, réussi à cacher dans le coffre d’une banque de Libourne et une propriété du sud ouest de la France, elles seront également volées.
Â
Â
Â
POUR RÉFLÉCHIR A LA (SENSIBLE) QUESTION DES RESTITUTIONS, APRES GUERRE, DES ŒUVRES SPOLIÉES
Â
Â
Après guerre, les victimes spoliées, ou leurs descendants,  s’engagent dans d’âpres batailles judiciaires visant à  récupérer les biens dont ils ont  injustement  été dépossédés durant le conflit.
Â
Une lutte loin d’être aisée tant nombreux sont les marchands peu scrupuleux ainsi que les institutions muséales qui rechignent, désormais, à se séparer des chefs d’œuvres achetés durant cette période trouble.
Â
A ce propos, si vous n’avez pas encore vu le film La femme au Tableau, réalisé par Simon Curtis et sorti en salles en 2015, je vous invite ardemment à le faire.
Â
Il raconte, en effet, l’acharné combat judiciaire mené, durant des décennies, par Maria Altmann, une descendante de l’influente (dans le domaine des Arts) famille autrichienne Bloch-Bauer , pour, notamment, retrouver un portrait de sa tante Adèle peint par Gustave Klimt.
Â
Oeuvre qui, dès les premiers jours de l ‘Anschluss (l’Annexion, en 1938, de l’Autriche par le III ème Reich), sera volée par les nazis avant de finir accrochée au Musée viennois du Belvédère auquel Adele Bloch Bauer avait souhaité qu’elle soit, après son décès et celui de son époux, léguée .
Â
Au terme d’une longue procédure, l’Autriche, qui refusait de restituer la toile (considérée comme la Joconde du pays) à Maria Altmann, fut contrainte, en 2006 (soit 68 ans après l’Anschluss), par un tribunal arbitral autrichien à  le faire.
Â
Le tableau est désormais visible à la Neue Galerie new-yorkaise.
Â
Aux obstacles évoqués ci-dessus,  s’ajoute une difficulté supplémentaire pour les victimes :  rapporter la preuve, alors qu’elles ont tout perdu, de la propriété des biens réclamés .
Â
Plus de 70 ans  après la fin de la seconde guerre mondiale, force est donc de constater à quel point le processus des restitutions demeure un  véritable parcours du combattant pour qui s’y engage.
Â
Paul Rosenberg a, quant à lui, eu un peu plus de chance.
Â
Il retrouve, en effet, sa galerie de la rue de la Boétie mais, incapable de s’y installer à nouveau, décide de la vendre.
Â
Non sans avoir, au préalable, fait ôter le magnifique dallage en mosaïque réalisé par Braque, désormais connu sous le nom de Quartet Rosenberg, qui ornait  son appartement .
Â
S’agissant de sa collection volée, certaines des Å“uvres en faisant partie seront, en 1944, miraculeusement retrouvées, en gare d’Aulnay-Sous-Bois, dans un convoi en partance pour l’Allemagne saisi par les militaires appartenant à la deuxième Division Blindée dirigée par le général Leclerc.
Â
Un épisode d’autant plus émouvant que parmi ces hommes se trouvait Alexandre,  fils de Paul Rosenberg, qui, quelques années plus tôt, s’était engagé aux côtés des forces de la France Libre.
Â
Ce  sauvetage  n’aurait pas été possible sans les précieux renseignements fournis par Rose Valland, conservatrice du Musée du Jeu de Paume  durant l’Occupation, qui rédigea une liste précise des Å“uvres spoliées  entreposées sur place ainsi que la destination de leurs convois.
Â
Et  sans l’action, par ailleurs, des Monuments Men, (révélés notamment au grand public par le film éponyme réalisé, en 2014, par Georges Clooney ).
Â
Créée en 1943 et composée de sachants du domaine de la Culture  (historiens, architectes et conservateurs de musée) cette unité américaine, suivant les troupes alliées, avait pour mission de retrouver les Å“uvres d’art dérobées, à des familles juives ou à des musées, par les Nazis afin  de les rendre à leurs véritables propriétaires.
Â
 Aujourd’hui, nonobstant la restitution à la famille Rosenberg de plusieurs toiles et la récupération de centaines d’autres , certaines Å“uvres appartenant à la riche collection de Paul Rosenberg manquent encore à l’appel.
Â
Â
Par son inédite dimension artistique et historique, 21 rue la Boétie est une exposition itinérante qui début janvier 2017, au Musée Belge de la Boverie, m’ a incroyablement touchée .
Â
Puisse t’elle à Paris, la ville où tout commença pour Paul Rosenberg,  être autant victime de son succès qu’à Liège où elle fut d’ailleurs  prolongée.
Â
Â
Â
Â
Â
Â
Â
Â