WILLIAM KENTRIDGE EN TOUTE MAJESTE AU LAM DE VILLENEUVE D’ASCQ
l’un des panneaux de Art in a State of Grace, Art in a state of Hope, Art in a State of Siege
Avant-hier, presque 4 ans après y avoir exploré la magnifique exposition « Amedeo Modigliani, l’œil intérieur« , j’ai de nouveau franchi les portes du confidentiel LAM (Musée d’Art Moderne, d’Art Contemporain et d’Art Brut de Villeneuve d’Ascq)
où vient de s’ouvrir «Un Poème qui n’est pas le nôtre ». Â
Spectaculaire rétrospective, la plus complète à lui avoir jamais été consacrée en France, mettant à l’honneur le sud-africain William Kentridge.
Cette figure majeure de l’Art Contemporain, récipiendaire de nombreux prix internationaux parmi lesquels le Praemium Imperiale 2019, dont les créations, telles More Sweetly Play the Dance (installation admirée, au printemps 17, lors de l’exposition parisienne Afriques Capitales puis, quelques mois plus tard, au Zeitz Museum of Contemporary Art Africa de Capetown) outre une sculpture présentée, l’été dernier, au Bronx Museum of The Arts new-yorkais dans le cadre de « Useless Machines for Dreaming, Thinking and Seeing », m’avaient déjà époustouflée .Â
Sous le commissariat de Sébastien Delot et Marie-Laure Bernadac, le LAM s’est donc métamorphosé en une inédite enclave multisensorielle invitant, dans une scénographie pensée dans les moindres détails, à saisir toute la richesse de ses Å“uvres.
Indiscutablement polymorphes tout d’abord.
Reflet d’une pluridisciplinarité assumée, elles mêlent en effet avec maestria, comme en témoigne d’ailleurs la reproduction de son atelier au sein de l’exposition,
Remebering the Trason Trial
Head
Man with Hat
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Red Rubrics
lunettes stéréoscopiques
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plusieurs médiums d’expression.
Fussent ils classiques ou plus contemporains.
Allant du dessin au fusain, auquel il accorde une grande importance, aux collages;
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The Houghton Opera House
News from nowhere
Des sculptures aux tapisseries, peintures et gravures;
Promised Land
Des films d’animation, dans lesquels il se met éventuellement en scène ou donne à voir ses doubles (Felix Teitlebaum ou Soho Eckstein)Â
7 fragments pour Georges Melies
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Ubu tells the Truth
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Felix in Exil
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au théâtre d’ombres ;Â
Et, enfin, des performances aux installations vidéo auxquelles d’autres artistes, à l’instar de Phillip Miller (compositeur de la musique de The Refusal of Time) contribuent souvent.
Machines Sentimentales
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The Refusal of Time
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Non contente d’abolir frontières et hiérarchies entre des branches artistiques d’ordinaire perçues comme imperméables, cette diversité permet, aussi, à William Kentridge de :
Renouveler son travail, d’élargir son public et de démultiplier, ce faisant, les émotions qu’induisent ses réalisations empreintes de poésie.
Irrémédiablement engagées ensuite.
Puisque toute l’oeuvre de l’artiste, né à Johannesburg en 1955, se révèle porteuse de messages politiques forts.
 Son engagement puisant, en effet, ses racines dans une histoire familiale placée sous le sceau de la lutte contre l’Apartheid.
Régime ségrégationniste sud-africain, légalement établi en 1948, que ses parents, tous deux avocats (la défense de Nelson Mandela durant le procès de la Trahison, entre 1955-1961, fut à ce titre assurée par son père), combattirent sans relâche.
Marchant dans leurs pas, William Kentridge va se servir de son Art pour éveiller les consciences et dénoncer les ignominies dont le gouvernement de son pays se rend alors coupable envers la communauté noire sud-africaine.
Ainsi, les décors de sa pièce de théâtre Sophiatown renvoient aussi bien à la démolition, en 1955, de ce quartier éponyme de Johannesburg où cohabitaient jusque là plusieurs communautés qu’au déplacement forcé, opéré dans le même temps, de ses résidents noirs vers le ghetto de Soweto.
Un épisode douloureux s’inscrivant, comme en témoigne le District Six Museum de Cape Town, dans la vaste politique d’expulsions menée à l’encontre des populations noires durant l’Apartheid.Â
Quant à la convocation d’Ubu, iconique personnage d’Alfred Jerry, dans Ubu Tells The Truth, elle permet à William Kentridge d’évoquer les violences policières, publiquement révélées, dès 1995, par la Commission Vérité et Réconciliation, dont ses concitoyens noirs furent à la même époque victimes .
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Mais loin de circonscrire son propos aux seules affres liées au passé de l’Afrique du Sud, l’artiste élargit, ensuite, sa perspective afin de s’intéresser à d’autres épisodes historiques, passés sous silence, ayant son continent pour dénominateur commun.
La conférence de Berlin, à l’issue de laquelle les puissances coloniales européennes se partagèrent à la fin du XIX eme siècle les royaumes africains, puis le rôle et le lourd tribut payé par les troupes indigènes durant le premier conflit mondial constituent, en conséquence, les thèmes abordés par The Head and Load et Kaboom.
Kaboom
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The Head and the Load
Ce nécessaire devoir de mémoire s’exprime enfin à travers la frise Triomphes et Lamentations, traitant de la pluriséculaire histoire de Rome, où apparaissent une centaine de personnages.Â
Aux côtés des empereurs (Marc Aurèle), roi (Victor-Emmanuel II),des figures mythiques (la Louve Capitoline), du char triomphal, de la Victoire ailée, symbolisant toute la grandeur de la ville, y sont aussi notamment représentées personnes déplacées du fait de la crue du Tibre à la fin des années 30, processions de migrants, renvoyant aux crises actuelles, ou encore écrivain assassiné ( Pier Pasolini).
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Conjuguant Art, Histoire, Devoir de Mémoire, Créativité et Enjeux Contemporains de la plus belle manière, « Un Poème qui n’est pas le nôtre » fait figure de bouleversante ode au génie de William Kentridge.
Une inoubliable immersion, à voir jusqu’au 5 juillet 2020, que j’ai adorée.Â
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