UKIYO-E, L’EXCEPTIONNELLE RÉTROSPECTIVE BRUXELLOISE CONSACRÉE AUX ESTAMPES JAPONAISES
L’acteur Ichikawa Morinosuke dans le rôle de Hayano Kanpei, Ashihiro
Déroutant et Fascinant.
L’œil étranger que je suis n’aurait pas pu résumer autrement mon voyage au Pays du Soleil Levant.
Antinomiques au premier abord, ces 2 adjectifs témoignent pourtant de l’évolution de ma perception de la civilisation Japonaise alors que j’explorais, au printemps 2013, les, si dissemblables, capitales de cet archipel asiatique.
Kyoto, celle d’hier, gardienne des traditions et de la spiritualité. Tokyo, celle d’ aujourd’hui, frénétique et contemporaine mégalopole.
Car passées les déconcertantes premières heures, où tout, de la Culture à la Gastronomie en passant par la Mode, les Us et Coutumes ou encore le mode de vie, me paraissait complètement aux antipodes de ce à quoi j’avais, jusque là, été confrontée, j’ai, peu à peu, senti grandir en moi une fascination, aux contours pluriels, pour ce pays à l’âme si particulière.
Et, sans même m’en rendre compte, j’ai été séduite.
Par la splendeur du Pavillon d’Or, par l’élégance des techniques de combats des lutteurs de Sumo, par le charme des geishas et maikos se faufilant à travers les ruelles des pittoresques quartiers, Gion et Pontocho, de Kyoto … et, surtout, par la magnificence de l’ Art qui, depuis des siècles, y est produit .
A ce titre, mon coup de cœur initial, remontant aux années Lycée, pour les estampes japonaises s’est confirmé alors que je découvrais, ébahie, celles exposées aux musées, tokyoïtes, National puis d’ Ota.
Mais hormis leur incontestable beauté, l’autre attrait de ces gravures sur bois d’origine populaire, également appelées Ukiyo-e (signifiant littéralement Images du Monde Flottant ) se cache ailleurs : dans leur capacité à nous plonger, pour mieux en saisir l’essence, dans un Japon traditionnel désormais disparu.
Celui, notamment, de la prospère (aussi bien économiquement que culturellement) Ère Edo (de 1603 à 1868) où la capitale éponyme ( aujourd’hui appelée Tokyo) se distinguait par les nombreux plaisirs éphémères dont jouissait sa bourgeoisie .
Alors à défaut de pouvoir se rendre au Japon pour vivre cette magnifique échappée temporelle, il convient de ne pas manquer les rares occasions (car la fragilité et l’extrême sensibilité à la lumière des Ukiyo-e restreignent, de fait, la mise en place d’événements culturels qui leur sont dédiées en dehors du Japon) permettant de les admirer lors d’expositions organisées à l’étranger.
C’est pourquoi je vous avais chaudement recommandé, il y a deux ans, de vous rendre, toutes affaires cessantes, à la rétrospective du Grand Palais parisien consacrée à Hokusai, universellement considéré comme le Maître des estampes japonaises.
Qui, en effet, ne connait pas les œuvres issues de sa célèbre série intitulée « 36 vues du Mont Fuji » et plus particulièrement sa menaçante Vague ?
La Vague, 36 vue du mont Fuji, Hokusai
Pour autant, lesdites représentations artistiques ne sauraient, ni être circonscrites au seul nom d’Hokusai , ni être réduites aux uniques dessins de paysages.
Ce serait occulter la diversité des thématiques qu’ elles illustrent ainsi qu’ oublier, par ailleurs, tous les autres grands artistes qui ont excellé dans cet Art.
Une incommensurable richesse que le Musée bruxellois du Cinquantenaire (faisant partie des Musées Royaux d’Art et d’Histoire de Belgique) a choisi de dévoiler, depuis le 21 octobre dernier et ce jusqu’au 12 février 2017, à travers une exposition d’envergure sobrement intitulée : Ukiyo-e.
La classe des marchands, Toyokuni
Les amants Osome et Hisamatsu, Eisui
Tryptique le 5 eme mois, Toyokuni
Exceptionnelle, cette rétrospective l’est, assurément.
A plus d’un titre.
Tout d’abord parce qu’elle retrace l’Histoire et l’ évolution de ces images du monde flottant depuis le début du 18 eme siècle jusqu’au début du 20 eme siècle, livrant ainsi un précieux témoignage sur ces différents époques (Edo et Meiji) et courants artistiques (Shi Hanga notamment) outre sur l’ouverture au Monde du Japon.
Aux détours des salles, vous assisterez ainsi au passage du dessin en noir et blanc à celui en couleurs
Les 4 endormis d’une maison close, Masanobu
Le sanctuaire de Hie sous la neige, Kawase Hasui. Différentes phases d’impressions d’une estampe : du début en noir et blanc à la fin en couleurs
et constaterez également l’influence exercée par l’époque (Edo ou Meiji) sur le choix des sujets dessinés ainsi que les techniques employées par les artistes .
Quelques estampes de l’ère Meiji
Retour au village de cueilleuse de thé, Shotei
Jeune femme et deux silhouettes dans le brouillard du soir, Eisen
Le daimyo kato kiyomasa, Yoshitoshi
Parfum d’une source d’eau chaude, Shinsui
Jeune femme en longue tunique de dessous, Shinsui
L’attaque nocturne, Kuniyoshi
Jeune femme admirant la pleine lune, Eisen
Ensuite parce que cette exposition rassemble un nombre conséquent de gravures, 416 pour être tout à fait exacte, lesquelles seront présentées en 2 séries (changement prévu le 20 décembre 2016) pour assurer la préservation des estampes.
Celles-ci ont été choisies au sein de l’exceptionnelle et renommée collection détenue, à ce titre, par le musée et comptant pas moins de 7500 gravures à l’état de conservation exemplaire !
Si je présume que le choix n’a pas du être aisé pour le commissaire de l’exposition Ukiyo-e, il est certain que ce dernier a décidé de présenter les plus belles de ces pièces 🙂
Il suffit de parcourir l’exposition pour s’en convaincre.
Dernière raison, enfin, pour laquelle Ukiyo-e est un Must Visit : elle pallie nos lacunes.
Aussi bien s’agissant des autres grands Maîtres (autres qu’Hokusai) de l’Art de l’Estampe, à l’instar, entre autre, de Moronobu, Harunobu,
Illustration d’un poème de Sosei hoshi, Harunobu
Pêche aux medaka, Harunobu
Fils d’aristocrate militaire en visite officielle, Harunobu
Utamaro, Hiroshige, Eishi (notamment), que des thématiques privilégiées abordées dans leurs œuvres.
Ainsi, c’est avec beaucoup de plaisir que j’ai découvert les scènes du Kabuki, théâtre traditionnel japonais, figurant sur certaines estampes.
Salle comble pour un spectacle de kabuki, Toyokuni
Puis, j’ai été interpellée par les portraits de ses célèbres acteurs.
L’acteur Utagawa Shirogoro dans le rôle de Nitan no Shiro, Torii Kiyomasu II
L’acteur Ichikawa Ichizo dans le rôle du charpentier Rokuzo aux prises avec une gigantesque carpe, Kunisada
L’acteur Sakata hangoro III, Toyokuni
L’acteur Ichikawa Monnosuke II dans le rôle de Katanaya Hanshichi, Shun’Ei
Portrait en gros plan de l’acteur Nakamura Nakazo I, Shunko
Tout comme par ceux des lutteurs de sumo.
Les lutteurs Mishima et Koshigahama, Shun’Ei
Le lutteur Onogawa Kisaburo, super champion titré yokozuna, Shun’ei
Impossible, ensuite, de ne pas s’extasier devant les bijin- ga, ces représentations de belles femmes, courtisanes de salon de thé ou mère de famille.
La courtisane Shinowara et sa suite, Kiyonaga
Le goût des motifs sur tissus en vente chez Izugura, Utamaro
Epoux surpris le soir par une averse, Utamaro
L’heure du dragon, Utamaro
Tomimoto Toyohina, geisha et chanteuse réputée, Utamaro
les 6 rivières de Gemme, Shumman
Jaardin aux iris, Shuncho
Que dire, par ailleurs, de ces magnifiques représentations de sites célèbres , de paysages où la Nature ne se contente plus seulement d’être un simple décor mais devient le sujet même de la gravure ou encore d’animaux ?
Chasse aux lucioles, Eishi
Incandescence du soir à Jungai, Hokusai
Le pont Eitai, Shinsai
Le jardin d’iris a Horikiri, Hiroshige
Le grand pont et Atake sous une réserve, Hiroshige
le Relais de Yoshiwara, Hiroshige
Bac sur le fleuve Sumida parodiant le chapitre li, Hiroshige
Mishima, brouillard matinal, Hiroshige
Couple de cailles au pied de pavots, Hiroshige
Exposition au sanctuaire de Kameido, Hokusai
Le temple Honganji à Asakusa dans la capitale de l’est, Hokusai
Et le plus sulfureux pour la fin : à moins que vous vous soyez rendus, fin 2014, à l’exposition L’art de l’amour au Temps des Geishas, présentée à la Pinacothèque de Paris (à laquelle j’avais d’ailleurs consacré un paragraphe à la fin de mon billet consacré à l’exposition Hokusai), vous ignorez certainement l’existence des shungas, les estampes érotiques japonaises.
Rendez vous secret, Eizan
Caresse érotique, Eisen
Couple surpris dans leurs ébats, Koryusai
Femme mariée et son amant, Kiyonaga
Préliminaires, Shunsen
Passion dans la chaleur de l’été, Utamaro
Enlacement passionné , Hokusai
Explorez la rétrospective Ukiyo-e au Musée du Cinquantenaire vous permettra de parfaire, à cet égard, votre culture générale 🙂
Sachez, in fine, qu’outre les Ukiyo-e, cette immersion en terre japonaise passe aussi par l’exposition d’autres objets, symbolisant tout autant le Pays du Soleil Levant, tels qu’une imposante armure de samouraï ou plusieurs peignes et coffres en laques.
De quoi donc satisfaire la curiosité de tous .